Arts numériques et œuvre ouverte

On me demande parfois pourquoi intégrer une dimension participative, interactive dans mes projets. Je partage ici quelques réflexions sur ce sujet.

Episode 2/3 : la main

Des personnes déambulant avec un casque audio, semblant chercher leur chemin, revenant sur leur pas. Toposonic, oeuvre sonore géolocalisée : la marche du spectateur influe sur ce qui est entendu, mais il est tout aussi vrai de dire que l’écoute modifie la marche.

L’œuvre d’art numérique implique souvent une action de la part du spectateur, une mise en mouvement, aussi minime soit-elle. Il peut s’agir du corps entier, comme pour Toposonic, mais c’est bien plus souvent la main qui agit, la main comme symbole de l’implication de celui qui écoute, la main « instrument des instruments » selon Aristote. Ce sont les mains peintes des sites préhistoriques, la main guidonienne pour apprendre le solfège au Moyen-Âge, la conduite du chef d’orchestre. Samuel Bianchini et Jean-Paul Fourmentraux qualifient ainsi de « praticables » ces œuvres : « Plus que d’être simplement véhiculés et donnés à voir, ces médias sont désormais pratiqués, opérés, mis en scène et en œuvre1 ».

Cette « pratique » peut faire écho à celle d’un instrument de musique. Je peux écouter une œuvre en concert mais je peux, si j’en ai les moyens, la jouer moi-même sur un instrument de musique. La perception en est alors réellement différente, modifiée par l’attention au présent mais également au futur immédiat, par le contrôle musculaire, etc.

L’interactivité d’une œuvre d’art numérique permet de retrouver en quelques sorte cette situation. « L’interactivité est une modélisation de la relation entre ce que je perçois et la motricité impliquée par cette perception2» dit ainsi l’artiste Grégory Chatonsky. Il n’est bien sûr pas question pour le public de passer plusieurs années à apprendre à manipuler une œuvre. Cependant, les informations affichées à côté de l’œuvre, ou les personnes en charge de la médiation, assurent souvent un rôle de « formation » minimale à la pratique de l’œuvre.

De cette circulation d’influx nerveux dans les deux sens, je recherche l’émergence d’une certaine intelligence de la main, l’envie d’expérimenter, le plaisir du geste…

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1 BIANCHINI Samuel et FOURMENTRAUX Jean-Paul, Médias praticables : l’interactivité à l’œuvre, De Boeck Supérieur | « Sociétés », 2007/2 n° 96, pp.  91-104. https://www.cairn.info/revue-societes-2007-2-page-91.htm

2 CHATONSKY Grégory, Le centre d’indétermination : une esthétique de l’interactivité, Intermédialités / Intermediality, (3), 2004, pp. 79–96. https://doi.org/10.7202/1005469ar